Décédée vendredi des suites d’une longue maladie, la militante, ex-syndicaliste CFDT à l’ANPE et porte-parole du mouvement de chômeurs AC !, aura ouvert une brèche dans la frontière entre le « social » et la « politique ».
Elle n’a jamais adhéré à un parti mais, toute sa vie, Claire Villiers, décédée vendredi après plus de quinze années de combat contre le cancer, l’aura passée à faire de la politique, au sens large et au sens strict, à la fois. Toute sa vie, et plus nettement encore depuis le séisme électoral du 21 avril 2002 sanctionnant le gouvernement de Lionel Jospin et toute la gauche plurielle, elle aura cherché à effacer la frontière entre le « social » et le « politique », à rapprocher les lignes pour muscler le rapport de forces contre les politiques néolibérales. Jusqu’au bout, Claire Villiers, ouverte et tenace, audacieuse et réfléchie, spontanée et patiente, s’est tenue sur ce fil, mue par l’urgence face au chômage et à la précarité, animée par l’ambition de reconstruire une alternative de société et d’élaborer les voies stratégiques pour y parvenir.
En 1965, elle rentre, dès quatorze ans, à la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) où elle prendra rapidement des responsabilités. Passée au travers de Mai 68, Claire, fille de prolo militant à la CGT et au PSU, part étudier la sociologie à Nanterre. Après avoir travaillé quelque temps dans des cabinets d’urbanistes, elle est licenciée. « J’ai beau me soigner, je suis d’origine catholique, racontait-elle non sans autodérision. Je me dis que les chômeurs sont les plus démunis. Et c’est comme cela qu’en 1975, je rentre à l’ANPE. » Syndiquée depuis 1972 à la CFDT – le syndicat qui, dans ces années-là, ne parlait que de l’autogestion, de la propriété sociale des moyens de production et de la planification démocratique –, la jeune femme se retrouve pleinement dans le slogan de l’époque : «Nous vivrons ce que nous changerons.» Longtemps, avec ses camarades de ce que l’on appellera la «gauche CFD» après le «recentrage» de la confédération au mitan des années 1980, Claire Villiers tentera de combattre la conversion gestionnaire et sociale-libérale de la CFDT sous la houlette d’Edmond Maire, puis de Nicole Notat. Entre la fin des années 1980 et 2004, les départs pour SUD, la FSU et la CGT se multiplient ; les bataillons de la CFDT-ANPE, dont Claire Villiers a longtemps été secrétaire nationale, décident de quitter le navire après la signature, en 2000, du très controversé plan d’action pour le retour à l’emploi (Pare), rejoignent la FSU et créent le SNU-ANPE.
Au cœur de ce parcours, il y a la création, en 1993, d’Agir ensemble contre le chômage (AC !), conçu d’abord comme un réseau de syndicalistes qui, au fil des marches contre le chômage, se transformera en véritable mouvement. Longtemps détachée à AC ! par son syndicat, Claire Villiers occupera les fonctions de porte-parole de l’organisation, notamment pendant les semaines d’occupation d’antennes Assedic au cours de l’hiver 1997-1998. Aux côtés des chômeurs de longue durée, la syndicaliste, également impliquée dans la création à la même époque de la Fondation Copernic, révise quelques-unes de ses certitudes sur la « centralité du travail », reprenant aussi certaines revendications plus immédiates, comme celles sur le revenu.
Fin 2003, dans la foulée de différents appels à l’unité de la gauche antilibérale signés par plusieurs milliers de personnes, alors que le PCF choisit en Île-de-France de ne pas partir avec le PS au premier tour des régionales et que la LCR s’allie, elle, avec LO, Claire Villiers décide, avec une centaine de ses camarades rassemblés au sein du mouvement Alternative citoyenne, de « coconstruire » une liste qui sera baptisée Gauche populaire et citoyenne. Elle partagera la tête d’affiche avec Marie-George Buffet. « Honnêtement, le tête-à-tête, ce n’est pas ma tasse de thé, expliquait-elle à l’époque. C’est une étape, j’espère qu’on n’en restera pas là, je m’interroge beaucoup sur une posture strictement protestataire, qui fait l’impasse sur les institutions. Quand on regarde les Argentins, les Brésiliens, l’idée de prendre nos affaires en main fait son chemin. Ma stratégie, c’est de reconstituer une vraie force large à gauche. » Au terme d’une campagne dynamique, cette liste, qui préfigure en quelque sorte, à petite échelle, la coalition pour le « non » au traité constitutionnel en 2005, recueille 7,5 % des voix.
Avec une dizaine de ses camarades d’Alternative citoyenne (François Labroille, Malika Zediri, Tarek Ben Hiba…), Claire Villiers est élue en mars 2004 au conseil régional d’Île-de-France et prend à bras-le-corps la vice-présidence de la Délégation à la démocratie régionale. Faisant siens les mots de Jaurès selon lequel « le salarié est souverain dans l’ordre politique, il est dans l’ordre économique réduit à une sorte de servage », elle a notamment ouvert un chantier intitulé « Travail et démocratie », une manière, à ses yeux, d’accompagner véritablement les luttes dans les institutions. À l’échelle nationale, à l’issue de la présidentielle de 2007 où elle soutiendra la candidature antilibérale de José Bové, Claire Villiers décrit le paysage comme un « champ de ruines ». À l’instar de l’écrasante majorité de ses camarades, elle ne suivra pas en 2009 le leader paysan chez Europe Écologie, mais adhérera à la Fédération (Fase). Au printemps dernier, entre les deux tours des élections régionales, Claire Villiers, marginalisée par les nouveaux équilibres au sein du Front de gauche, se retrouve finalement en position non éligible. Et, avec elle, la Délégation à la démocratie régionale disparaît du conseil régional d’Île-de-France. Claire Villiers a gardé de cette éviction beaucoup d’amertume. « Je me méfie des lamentations comme de la peste », avait-elle coutume de dire. Tous ceux qui l’ont accompagnée et qu’elle a accompagnés mesurent, avec la perte de cette femme intègre et toujours debout, que le chemin ouvert est encore long et difficile.
Un hommage lui sera rendu le mercredi 8 décembre à 13 h 30 en l’église Saint-Pierre-Saint-Paul (11, rue Beaurepaire) à Colombes (Hauts-de-Seine).
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