Pour le Front de gauche des intellectuels, Roger Martelli livre son analyse de la situation politique actuelle, notamment concernant les forces de gauche. Face à une droite majoritaire mais déchirée, ce serait pour Roger Martelli du gaspillage que de laisser passer la chance qui se présente de renouer avec une gauche à la hauteur.
Nous voyons se dessiner ce qui est prévisible depuis longtemps : la droite est dans une extrême difficulté pour la prochaine présidentielle. Sarkozy avait proclamé le primat de la volonté en 2007 : il a fait la démonstration que, si l’on postule le primat de la concurrence libre et non faussée, l’affirmation de la volonté est un leurre. Il donnait l’impression d’avoir réunifié la droite en radicalisant son discours pour lorgner du côté de sa pointe extrême : aujourd’hui, la droite est plus divisée que jamais. Majoritaire, mais déchirée…
Nous nous trouvons à ce jour dans une situation potentiellement prometteuse. Les derniers sondages laissent entendre une progression simultanée de François Hollande et de Jean-Luc Mélenchon, tandis que fléchissent François Bayrou et Marine Le Pen. Ils montrent aussi que, à ne pas choisir de donner à ses valeurs l’ancrage d’une gauche franchement critique, l’écologie politique s’essouffle, mortellement. La gauche va mieux, la droite hésite : acceptons-en l’augure. Mais la gauche est ainsi, plus que jamais, devant un double enjeu : sans vendre la peau de l’ours, elle doit mobiliser dans ses réserves historiques celles et eux qui continuent à hésiter, après les douloureuses expériences des trente dernières années ; elle doit engranger les forces qui lui permettront de réussir dans l’exercice du pouvoir et, par-là, d’éviter une nouvelle reproduction du cycle de la désillusion.
En tout cas, l’expérience est faite : quand la gauche fait un pas sérieux vers la gauche, elle est conquérante. Il faut pousser plus loin cet avantage. Pour une part, la réponse est bien sûr à chercher du côté du Parti socialiste : confirmera-t-il son ancrage à gauche et, pour cela, est-il prêt à aller plus loin dans la définition d’une cohérence qui tourne enfin le dos aux errements de près de trente ans ? Les choix qu’il fera in fine vont peser lourd. Ce n’est pourtant qu’une part de la réponse.
Regardons la situation politique d’ensemble. Pour l’instant, quatre candidats sont estimés au-dessus des 10 % : trois sont à droite, un est à gauche. Cette situation n’est pas saine. À droite, le candidat de l’UMP est aiguillonné à la fois par sa gauche et par sa droite. Pour l’instant, le PS est aiguillonné fortement du côté du centre ; il ne l’est pas encore assez du côté de sa gauche. L’enjeu est donc simple : pour que la gauche s’assure définitivement de son succès et qu’elle prépare les conditions de sa réussite ultérieure, il est impératif qu’elle soit mieux équilibrée.
Ne nous trompons pas d’adjectif, d’ici le mois d’avril : j’ai écrit « équilibrée », pas « rééquilibrée ». Ce que veut le Front de gauche, ce n’est pas un jeu de vases communicants à gauche : quand la droite est encore majoritaire au premier tour, et de loin, ce serait suicidaire. La gauche doit désormais aspirer à être majoritaire dès le premier tour. Ce ne sera possible que par la progression de toutes ses composantes sans exception : si l’on est fidèle à la logique de rassemblement dans la clarté qui est celle du Front de gauche, nous devons souhaiter cette progression, sans réticences. Mais nous pouvons, sereinement désormais, ajouter que la progression collective doit s’accompagner d’une seconde condition. Il est maintenant acquis que Jean-Luc Mélenchon est, dans cette élection cruciale, le seul porte-drapeau d’une gauche bien à gauche. Il est donc de l’intérêt de toute la gauche qu’il franchisse un nouveau seuil dans les semaines qui viennent.
Ce que l’on devrait, en France, considérer comme « normal », ce qu’en tout cas on doit considérer comme salutaire, c’est une gauche de gauche qui ne soit pas à un niveau inférieur à 15 %. Ce fut très longtemps le cas, dans le passé, et la gauche s’en est particulièrement bien portée. Pour la première fois depuis une décennie, un score à la hauteur est envisageable ; or, cette fois, il ne s’éparpillera pas sur une myriade de candidatures, mais se cristallisera dans l’urne sur le nom de Jean-Luc Mélenchon. Le score de la gauche de gauche sera le sien. L’enjeu aujourd’hui n’est donc pas de subtiliser au PS ses électeurs : il est de mobiliser ces millions d’individus appartenant aux classes populaires qui, au fil des ans, se sont sentis floués par une gauche dans laquelle ils ne se reconnaissaient pas, soit parce qu’elle n’était pas assez à gauche, soit parce qu’elle était divisée. Aujourd’hui, il existe une offre politique bien à gauche et une offre déjà rassemblée.
C’est une chance. Ce serait gaspillage, à gauche, que de ne pas la saisir.